poudlard (écosse), 1943. liadan, seize ans ♑ des rumeurs tournaient de tous les côtés dans la salle commune ; depuis la fin des cours, une agitation sans pareille s’était emparée de tous les élèves. Personne n’avait encore la confirmation de quoique ce soit, et pourtant, déjà les pires rumeurs erraient sur les lèvres. Un professeur a tué un élève ! disaient certains, d’autres parlaient d’un monstre. Certains se forçaient au silence, visiblement alimentés par le désir de ne pas se faire remarquer. L’ambiance à Poudlard était devenue plus ténébreuse que jamais, et Liadan n’avait même pas encore eu l’occasion de trouver son père. Cloîtrés dans leur salle commune, les élèves ne pouvaient que tourner en rond : en vain, Liadan tentait de se concentrer sur son livre de potions - qui, pourtant, lui paraissait tout à fait inintéressant. Comme beaucoup, elle avait envie de savoir ce qui était la source de tant d’agitation, elle voulait voir son père et ses amis. Ici, elle n’en voyait que quelques uns, ceux de la même maison qu’elle. Pourtant, aucune nouvelle ne filtrait entre les différentes maisons, ou entre le collège et l’Université. Malgré elle, la jeune femme se retrouva à songer à Reid - avant de s’assurer intérieurement que le jeune homme était plein de ressources, et qu’il n’aurait aucun mal à se sortir de n’importe quelle situation. Une main vint se poser sur son épaule, pressant doucement celle-ci dans une demande d’attention. Ce n’est qu’à cet instant-ci que Liadan remarqua la présence du professeur McGonagall, qui la fixait de ses yeux - habituellement secs et distants, aujourd’hui, remplis d’un chagrin immuable. Oui, les choses à Poudlard allait mal, et pour un instant, Liadan se mit à inventer le pire dans son esprit. Pourquoi est-ce que le professeur McGonagall venait la trouver, elle ? « Miss Liadan. Le professeur Saddler aimerait vous voir, dans son bureau. » Et son coeur retomba lourdement dans sa poitrine, jusqu’à ses pieds, battant la chamade comme pour rattraper une course qu’il avait suspendu. Son père était vivant. Ce n’était pas ça, le problème ; alors qu’elle se levait, fébrile, le professeur McGonagall se tourna vers les autres élèves. « Votre attention s’il vous plait -je vous demande le silence ! » Les murmures des voix s’éteignirent peu à peu, et Liadan eut l’envie soudaine de rester, pour savoir ce que la professeur avait à annoncer. Elle se forçat malgré tout à quitter les lieux, laissant derrière elle la salle commune, qui lui paraissait soudainement, avoir été un endroit sécurisé duquel elle ne voulait pas se tenir à distance. Pourtant, à peine eut-elle passé le portrait de la Grosse Dame, qu’une main attrapa son bras ; elle fut attirée par son père tout contre lui, et il serra son étreinte autour de son corps fin. Il était bel et bien vivant, et Liadan, là, lovée, pouvait entendre son coeur battre. Alors, qu’y avait-il bien pu se passer ? « Ce n’est rien. Je voulais te le dire moi-même... les choses sont compliquées à Poudlard en ce moment. » elle aurait voulu rétorquer, le presser de parler clairement, mais Bellamy leva une main entre eux deux pour lui faire comprendre qu’il y arrivait. « Ils parlent de fermer l’école, Liadan. Une jeune fille a été assassinée aujourd’hui. » les ténèbres l’engloutirent, et un froid glaçant la prit de la tête aux pieds. Un mort, ici, à Poudlard ? Inconsciemment, elle sentit un frisson tracer son chemin le long de son échine ; comment était-ce possible ? Qui ? Quand ? Comment ? Mais déjà, elle n’avait pas eu le temps de rassasier sa curiosité que son père enchaînait. Un couvre-feu allait être imposé aux élèves. Des recommandations étaient distribuées à tous, ne jamais se déplacer seul. Et surtout, surtout, viens me retrouver à chaque fin de classe pour que je te raccompagne jusqu’ici - les mots de son père ne semblèrent pas pouvoir se frayer un chemin jusqu’à son esprit, endormi, happé par une crainte viscérale. Tout allait changer à Poudlard, et cela la terrifiait.

londres (angleterre), 1943. liadan, dix-sept ans ♑ elle se souvenait de chaque instant. L’odeur amère de la pièce. Le regard froid de son oncle qui la sondait. Sa voix rauque, lui disant qu’elle lui rappelait sa mère. Et puis les phrases qu’il a commencé à déblatérer dans tous les sens au sujet de son père. Liadan a roulé des yeux, soupiré en silence. Jusqu’à ce que. Et ton père, lui il se gardait bien de s’occuper d’elle hein ! Tu parles, toujours trop occupé à aller voir chez la voisine, ou la première femme qu’il croisait ! Une pierre était tombée au fond de son estomac à cet instant précis, germant en un nœud de ressentiments qu’elle n’avait plus réussi à défaire depuis. Va savoir s’il a même remarqué qu’elle était malade avant que les choses ne tournent mal. Elle était seule et triste, et il en avait sans doute rien à faire qu’elle finisse six pieds sous terre. Le manque de sentimentalisme de son oncle aurait pu forcer la jeune femme à se lever, pour venir lui coller une gifle ; elle n’en a rien fait cependant, clouée sur place et murée dans un silence de plomb. Liadan avait pris la fuite, et faute de remarquer son absence, son oncle s’était pourtant réduit au silence, lorsqu’il avait entendu la voix de la jeune femme se briser dans sa gorge nouée. Depuis, les paroles du frère de sa mère continuaient de la poursuivre, Liadan avait souvent tenté de les éloigner, se faisant bataille, se répétant inlassablement tout ce que son père lui a toujours dit au sujet de cet homme. Son oncle était un ivrogne, et pourtant, Liadan ne pouvait s’empêcher de voir en lui la même douleur que celle qu’elle ressentait - cuisante et impitoyable. Elle avait perdu sa mère toute petite ; son oncle, lui, avait perdu la soeur avec laquelle il avait grandi depuis toujours. Peut-être bien, qu’ils étaient les deux seuls capables à connaître le réel deuil. Elle ne savait pas. Après tout, ni son père, ni ses grands-parents ne faisaient preuve d’un si grand sentimentalisme à l’égard de sa mère : les rares fois où Liadan avait osé poser des questions à sa grand-mère, celle-ci était toujours restée muette. Au côté de son oncle, à travers des histoires rocambolesques, Liadan s’était sentie se rapprocher de sa mère, ce fantôme qui s’effaçait peu à peu de sa mémoire. Pernicieux, dangereux, les propos de son oncle avaient fini par se glisser sur sa peau - sous sa peau, dans  un mélange de ressentiments qu’elle ne pouvait plus écarter désormais. Patiemment, le jour déclinant, elle attendait le retour de son père ; la promesse, peut-être bien, de réponses. Elle ne comptait pas le lâcher sans avoir quelque chose pour apaiser ses doutes et ses maux - c’était ce que son paternel avait toujours fait, ce pour quoi il était toujours là, à ses côtés. Petite fille, il l’avait consolée lorsqu’elle avait pleuré l’absence de sa mère. Il l’avait élevée, il l’avait soutenue, encouragée. Il ne pouvait pas... il ne pouvait pas être l’homme décrit par son oncle. La porte s’ouvrit dans son dos, la faisant sursauter dans un volte-face. « Par Merlin. Tu as vu un fantôme, ou quoi ? » Ce n’est que sous le regard sondeur de son père, que Liadan se rendit compte qu’elle avait les mains moites, et la nausée au bord des lèvres. Elle aurait voulu - oui, une part d’elle aurait voulu, simplement pouvoir venir se blottir dans les bras de son paternel et tout oublier. Pouvoir passer outre. Mais elle n’était plus une enfant ; elle devait savoir. Elle voulait savoir. « Je veux te parler de quelque chose. Sois honnête. » déjà, elle se devait de préciser des choses qu’elle n’aurait jamais crues nécessaires en d’autres temps. Pourtant, présenté comme il l’avait été par son oncle, Bellamy Saddler lui paraissait subitement être un menteur, un trompeur, un homme auquel il ne fallait pas se fier.

poudlard (écosse), 1943. liadan, dix-sept ans ♑ « ton père a trompé ta mère. Alors quoi ? » sous le regard du jeune homme, Liadan ne sut trouver ses mots. Il était vrai, quelque part, elle se disait que la rancoeur qu’elle éprouvait à l’égard de son paternel, n’était pas fondée. Pourtant, il lui suffisait de songer à sa mère, la lente agonie de celle-ci qui avait marqué son enfance, et tout revenait la torturer. Non, elle ne pouvait pas passer outre. Elle ne pouvait pas accepter les mensonges qui jalonnaient toute son existence ; la prétention avec laquelle son père agissait, sous prétexte sans doute, qu’il avait passé les dix dernières années à l’éduquer tout seul. C’était pourtant de sa faute, si son mariage était tombé en lambeaux au point d’entraîner sa femme vers sa fin. Liadan, l’heureuse petite fille d’antan, n’était en réalité que la résultante d’une quantité incalculable de mensonges, qui avaient littéralement porté toute son existence. Est-ce que son père en avait eu quelque chose à faire, qu’elle naisse ou non ? Est-ce qu’elle avait seulement été désirée, un jour ? Est-ce que, l’idéalisme qu’elle avait dressé autour de l’amour de ses parents, n’avait été que de la poudre aux yeux, qui retombait, brûlante et incandescente, aujourd’hui ? Tout son monde était chamboulé, sans dessus-dessous, et plus rien ne rimait à rien. Reid, pourtant, avait connu une existence bien plus chaotique qu’elle - il ne comprenait pas, ne comprendrait jamais l’amertume qu’elle éprouvait au fond d’elle-même. Pour toute réponse, Liadan se pencha vers lui pour venir prendre d’entre ses mains, la bouteille de Whisky Pur Feu qu’ils étaient allés voler dans les cuisines. Faire les quatre-cents coups était devenue son occupation favorite. Surtout avec Reid. Au goulot de la bouteille, elle avala une longue gorgée, une grimace de dégoût déchirant les traits de son visage. « Peu importe. Je savais que tu ne comprendrais pas. J’aimerais parler d’autre chose. » Reid n’était en rien un garçon fréquentable, pas même le genre de type avec qui elle se serait octroyer le luxe de traîner, si seulement elle n’avait pas décidé de prendre cette pente dangereuse, rien que pour défier son père. Si son monde à elle n’était que mensonge, alors il étai évident qu’elle-même, sa gentillesse, sa générosité, tout son caractère idéal, n’était finalement que de vagues illusions. A nouveau, elle noya ses songes dans une gorgée d’alcool amer : au fond, plus elle en avalait, mieux ça passait. « Ouais je sais, tu voudrais peut-être parler des trucs étranges qui se passent dans ce château. Ou alors du fait que le descendant de Serpentard soit un géant barbu et poilu de treize ans. » elle ricana, souriant pour la première fois depuis la soirée, sans doute. Si Reid prenait le ton du sarcasme, adoptait le caractère de quelqu’un qui se fichait des événements qui secouaient Poudlard et son Université depuis quelques temps, ils partageaient les mêmes inquiétudes. Les mêmes certitudes. Hagrid n’était pas le descendant de Serpentard, et une Acromantula ne pouvait pas tuer une élève sans laisser de trace. Les choses étaient plus compliquées que cela, et déjà, une même inquiétude brillait dans leurs yeux. Liadan ne dit mot, subjuguée pour un instant. Déstabilisée la seconde d’après. Pourtant, c’est elle qui vint à lui, se redressant sur elle-même, pour venir déposer ses lèvres sur celles du jeune homme ; et là, tout en haut de la tour d’Astronomie, plus rien n’existait.