Printemps 1919 – Sous l’étoffe blanche délicate qui lui voile le visage on distingue sans peine des traits angéliques. Ses lèvres écarlates paraissent comme un bouton de rose frais sur sa peau laiteuse. À peine éclôt. Elle ne doit pas avoir plus de dix-huit ans, en paraît deux de moins. Sa dentelle élégante et sa coiffure sophistiquée lui donnent de faux airs de princesse autrichienne. Sissi s’avançant vers l’autel ou Marie-Antoinette allant à la potence, au choix. Elle ravale ses larmes en sentant les regards affamés l’épier sur son passage. Sa tenue est décortiquée, commenté dans des murmures à peine dissimulés. Quel bel enfant ! J’ai cru entendre qu’elle portait une robe française. Bavardages futiles, la foule d’invités semble détourner son regard de son air suppliant. Le contraire l’aurait étonné, ils ne sont là que pour le spectacle. Harpies avides, elle est une proie à leur merci. « Félicitations ma chérie. » Le murmure vient de son père, sur qui elle lève son regard azur. Dieu qu’elle déteste son sourire satisfait, faussement bienveillant. Il l’attend, tenant à son bras un jeune homme d’une vingtaine d’années. Lui. Court, regard sombre, sourcils drus, il est à peine séduisant. Peut-être avait-elle espéré que son physique s'améliorerait en quelques semaines. Par Merlin, qu’ils vivent cent ans de bonheur ! hurle quelqu'un dans l’assemblée. On a jamais associé le mariage avec un Avery à une issue heureuse, pourtant. Alors que des applaudissement s'élèvent de la foule, elle sent Athelstan lui prendre la main et la rapprocher maladroitement de son étreinte. Il est parfait dans son rôle. L'expression neutre, Myrcella regarde son mari saluer l'assemblée. À jamais éteinte.

« Mon père a épousé ma mère à vingt-six ans. Elle en avait tout juste dix-huit et ils ne s’étaient vus qu’à deux reprises avant leurs noces. Ça n’a jamais rien eu d’un mariage d’amour, soyons honnêtes. C’était simplement une autre époque. Je ne sais pas si elle a jamais été heureuse de son union. Je n’y ai jamais réfléchi, ça ne me semblait pas important. Deux familles sorcières s'unissant pour assurer une lignée de sang-pur, les sentiments n'avaient rien à faire là dedans, tant pis pour les états-d'âmes d'une adolescente. Peut-être qu’elle a fini par s’habituer, par accepter. Gamin, je me rappelle avoir remarqué plusieurs fois combien ils étaient différents. Elle était effacée, douce, dévouée. Lui était exigeant, dur. Violent parfois. Avec elle, avec moi plus souvent. C’était son devoir de chef de famille, je n’attends pas de vous que vous compreniez. » 

« Avant moi il en eu d’autres. Un garçon puis une fille. Ma mère perdit le premier au bout de quelques mois, la seconde fut plus coriace. Mais pas suffisamment pour tenir jusqu'au bout. Morte-née. Peut-être en était-il mieux ainsi. Mon père n’ayant jamais toléré la médiocrité, la perspective de se retrouver avec un nourrisson faiblard ne l'aurait probablement pas enchanté. ll passa toute sa grossesse à la mettre en garde : attention à ne pas trop s'attacher, celui-là finirait certainement bientôt comme les autres. Ce du leur faire un choc de me voir survivre. Je suis né le soir d’Halloween. Sacré farce, n’est-ce pas ? On pourrait croire à la date idéale pour un sorcier, alors ma mère le prit comme un signe. Et lorsqu'elle me vu survivre les premiers mois puis finalement les premières années, elle su qu'elle avait eu raison. Le ciel leur souriait enfin. »

Automne 1930 – Le début du mois avait vu les moyennes de températures chuter, décourageant les riverains de s’aventurer trop longtemps dehors. Dans un quartier aussi calme que Belgravia, le commencement de l’automne marquait ainsi le retour d’un calme plat, et comme la plupart des lieux publics des environs, les jardins de Belgrave Square avaient été désertés. Avec pour seul accompagnement le grondement du vent, quelques croassements résonnaient à travers le parc. Derniers chants avant le silence. Dernières feuilles avant que les arbres ne soient nus sous la neige. Dernière apparition des mulots, écureuils et autres hérissons hibernants. C’était sa saison préférée .
Assis aux abords de la mare, Thadès s’était installé dans une flaque boueuse, sans se soucier de son environnement. Les bourrasques de vent frais faisaient virevolter ses boucles blondes et rougissaient ses joues rebondies, lui donnant des airs de chérubin. Dans l’une de ses mains, il tenait fermement une baguette atteignant presque la taille de son bras, pointée en direction de l'étang. Son regard fixait un groupe d'amphibiens perchés sur d'épais nénuphars à quelques mètres de là. État de concentration extrême. 
« Ampf..am-amplificatum ! » À son grand malheur, rien ne se produisit. Le gamin laissa échapper un soupir de découragement. C'était sa cinquième tentative. À quoi bon se donner tant de mal à se procurer une baguette si elle ne produisait au final aucun résultat ? Ciel, ce qu'il s'en voulait d'être aussi médiocre.. Ce n'est pas le moment d'abandonner, mon vieux..tu peux le faire. La petite voix dans sa tête ne voulait pas le voir rentrer sur un échec et elle avait probablement raison. Il fallait qu'il prouve sa valeur, il fallait qu'il le fasse à tout prix. Thadès redressa sa position. Il s'éclaircit la voix une dernière fois et pointa à nouveau la baguette sur les crapauds : « Amplificatum ! » Cette fois il la senti. Prenant source dans ses entrailles, parcourant son échine jusqu'à arriver au bout de ses doigts. La magie. Le premier des amphibiens se tut, comme prit de panique. En quelques secondes, sa taille tripla jusqu'à être aussi imposant qu'un ballon de football, devant les yeux médusés de Thadès. Ça avait fonctionné. Le crapaud enflait à vue d'oeil, comme un ballon de baudruche pompé, en même temps que l'euphorie du garçon, qui n'abaissait pas sa main. Et au bout d'une vingtaine de secondes, il eu inévitablement un "CLAC!" sonore : la bête avait implosé. « Bonté divine, Thadès ! » La voix familière le sorti de sa torpeur : il fit volte-face. Il ne l'avait pas entendu arriver derrière lui. Elle connaissait son repère et était sans doute venue récupérer sa baguette avant d'accessoirement le traîner à la maison. Mais tout cela n'avait pas d'importance. Sa mère était là. Quelqu'un était là, témoin de ses prouesses. Il allait lui montrer sa valeur, il allait lui montrer de quoi il était capable. Pour toute réponse, le gamin lui adressa un sourire radieux, avant de pointer la baguette sur un couple de d'écureuils à proximité. « J'ai réussi ! Regardez, j'ai enfin réussi ! Amplificatum ! AMPLIFICATUM ! » CLAC ! CLAC ! Les entrailles des rongeurs se répandirent de toutes parts, presque fumantes sur la pelouse fraîche et humide. Myrcella resta hagarde, scrutant d'un air horrifié l'expression qu'affichait son fils. Le spectacle le ravissait. Plus même, il avait l'air avide.
Pour la première fois, Thadès l'effrayait.

« Elle a toujours pensé que je n'étais pas normal. Pas 'comme les autres'. Peut-être même qu'elle s'en doutait déjà à ma naissance. En épousant un Avery, on s'attend rarement à mettre au monde un enfant parfaitement ordinaire, je pense. C'est vrai qu'il n'y a pas grand chose de commun dans le fait de passer le temps en noyant des lapins ou en faisant imploser des crapauds. Comment lui en vouloir ? Mes écarts furent vite soignés, et à coup de corrections sévères, bien évidemment. La méthode Avery de père en fils, rien de plus efficace pour apprendre à canaliser son énergie. Je n'ai pas de regrets : un homme doit pouvoir maitriser son attitude. C'est comme ça que le gamin agité que j'étais fut progressivement apprivoisé. Du moins en apparence. »

« Malgré tout ma bonne volonté, je n’ai jamais été le fils idéal de mon père. À quoi bon se mentir ? Et en grandissant, je compris que je n'étais pas prêt à l'être. Si les pulsions violentes avaient été matées à coup de baguette magique, je n’étais pas près de me débarrasser de ça. Savez-vous ce que ça fait, vous, d’être une abomination de la nature ? De devoir vivre avec un secret qui vous donne à vous même la nausée ? D'haïr un corps qui vous trahit, si fort que vous auriez envie de ramper en dehors ? Aussi loin que je me souvienne, l'attirance a toujours été là. Au départ c'était une simple affection platonique, à tort prise pour de l'admiration. L'adolescence entamée, l'affection s'est mutée en attirance, en désir. Le même que je ressentais pour les femmes. ll me fallut quelques temps avant d’en prendre pleinement conscience, avant de comprendre que lutter serait inutile et que je n'avais plus qu'à me faire une raison. Au final j'ai fini par accepter. Je devais avoir quinze ans. Ce jour là j'ai passé un accord avec moi-même, un contrat à une clause : Père ne devait jamais l'apprendre. »

Été 1939 – « Espèce d’ordure... » Le poing s’abattit lourdement dans un bruit mouillé horrible, insoutenable, s’écrasant contre la mâchoire déjà ensanglantée du gamin. Un, deux, trois, quatre. Dans l’impasse silencieuse, on n’entendait plus que les coups sourds s’enchainer à un rythme infernal et quelques gémissements occasionnels s’échapper du corps tressaillant du garçon. Il ne cherchait même plus à se protéger, encaissait avec douleur chaque nouvel assaut sans bouger d’un pouce. Résigné à accepter la punition divine. Son visage n’avait plus grand chose de reconnaissable : ses traits étaient étirés par des ecchymoses enflées qui avaient prises une teinte violacée. Brouillés par le sang déjà poisseux qui lui recouvrait la figure. « Moldu de mes deux, voilà qui t’apprendra à venir traîner par chez nous. »  Il ponctua sa phrase d’une dernière volée du pied, dirigée de toutes ses forces droit dans les dents de sa victime. Un gargouillis insupportable s’échappa de la bouche de celle-ci tandis que sa tête glissait sur le côté, un peu à la manière d'une poupée de chiffon. Knock-out. « Un peu plus et tu nous l’aurait tué. Ça aurait été dommage de se retrouver avec le Ministère sur le dos pour un misérable moldu. » L’assaillant se retourna, prit de cours par cette interruption, livrant son visage à la lumière des lampadaires. Il avait dégainé sa baguette et la tendait prêt à frapper au moindre mouvement suspect. Un sourire mauvais lui barrait le visage. Quinquagénaire au physique trapu arborant un bouc douteux, il reconnu en son interlocuteur un vieil ami de son père. Sa baguette retrouva sa place dans son cardigan. « Que voulez-vous, j’ai trop de mal à supporter de voir toute cette vermine parader autour de notre maison. »  Sa voix était doucereuse, calme. L'autre laissa échapper un rire franc et s'avança pour admirer de plus près le corps du lynché qui gisait toujours à terre. Les vêtements recouverts de boue, de sang, la peau enflée et violacée, ce dernier respirait bruyamment. Douloureusement. Comme un animal attendant le coup de délivrance. « Juste ciel, tu aurais pu le faire un peu plus proprement. On dirait une bête crevée, Thadès. » « J'aurais volontiers utilisé un peu de magie dans ma tâche mais vous savez certainement qu'il est interdit d'en faire en dehors de Poudlard. »  Son interlocuteur leva les yeux au ciel et fit rouler de son pied le corps inanimé du moldu sous un buisson. Il était grossièrement dissimulé mais la planque était assez à l’ombre pour le cacher aux yeux des passants. S’il avait de la chance, on le retrouverait au petit matin à demi mort. « Il me semble que s’en prendre aux moldus n’est pas non plus permis, et pourtant…enfin je ne peux pas vraiment te blâmer. À ce propos, je viens rendre visite à Athelstan. Tu ferais mieux de rentrer avec moi, mon garçon. Il fait déjà nuit. » Avery acquiesçait en écoutant l'homme d'une oreille distraite. Son regard glacial ne lâchait pas ce qui était encore visible de sa victime. Elle ne lui inspirait que du dégoût. Créature misérable incapable de se défendre : il ne comprenait toujours pas comment les moldus avaient pu résister aux épreuves de la sélection naturelle. Il se retourna vers l'ami de son père. « Bien entendu, il est à l'intérieur. Allons-y. »  Son ton calme et son air bienveillant contrastaient de manière plutôt insolite avec ses poings meurtris par les coups, encore ensanglantés, et l'expression meurtrière qu'il affichait quelques minutes plus tôt. Dans la nuit froide et silencieuse, ils se mirent tous les deux en marche vers la maison Avery.

« Vous connaissez certainement Grindelwald. Je fus longtemps partisan de ses idées. Les sorciers vivant au grand jour, dominants, ayant renvoyés ces satanés moldus à leur place. Tout cela bien sûr, pour le plus grand bien. Puis vint 1940. Le Blitz. La guerre des moldus débordant sur nos terres. Les nuits passées à renouveler les sortilèges de protection au dessus de notre maison. Nous n'avions pas voulu la quitter, même après les mises en garde du Ministère. Partir et livrer la demeure de nos ancêtres à la merci de leurs aigles d'acier ? Plutôt périr sous les flammes ! Le Blitz de 1940 fut pour moi la révélation. Le moment où j'ai enfin réalisé qu'aucun compromis n'était possible. Il fallait qu'ils paient. Pour tout. Ils devaient être chassés ou traqués. Question de survie.